Chronique de juillet :

« Le trou de mémoire »

Elles ont cinquante, soixante, soixante dix ans ou plus. Elles viennent de se planter, perplexes, en bas de ces foutus escaliers. D’autres se figent dans la réserve, au garage, dans ce fichu couloir, une fois, deux fois. Il y a celles qui ouvrent les portes du placard, de l’armoire ou sous l’évier, qui vont sur le palier, le balcon…`
Elles les descendent et les remontent ces marches, font des pas et des pas. Parties de la cuisine, de la salle de bain, de la chambre ou d’ailleurs, avec une idée en tête. Elles sont bien décidées à trouver et rapporter ce dont elles ont besoin, dans l’instant. Elles y vont, d’un pas alerte.
Soudain, elles s’arrêtent net. Un vide dans la tête. Un grand blanc. Une mémoire restée en rade. Rien ! Il n’y a plus rien !
Juste une prise de conscience, un sursaut de pensée : Pourquoi suis-je là, ici et maintenant ? Immobiles, elles ont complètement oublié ce pour quoi elles ont fait ce chemin. Elles sont pourtant venues dans ce lieu, pour un motif précis. Elles avaient besoin d’un objet, c’est certain. Etait-ce les rouleaux de papier toilette qui s’étaient épuisés à tourner en rond ! Il fallait les remplacer. Un bocal de confiture vieillissant allait « monter à sucre » comme disaient les Grands mères. Fallait-il le manger. Le tournevis allait-il perdre la tête à force d’ignorer les vis. Le linge s’impatientait-il dans la machine à laver et le fer à repasser, retraité depuis belle lurette, aurait-il à nouveau du pain sur la planche. Et les surgelés auraient-ils le temps de dégeler !
Les femmes s’élançaient, sans hésitation, vers l’objet convoité. Mais ni l’idée de l’objet, ni l’instant n’avait suivi !
Et les voilà, seules, interloquées, arrêtées dans leur élan, devant un puits sans fond. Elles se posent la question : Mais qu’est-ce que je suis venue faire ici ?
Lui, l’homme, il n’en parle pas semble-t-il, de ses arrêts sans image ? Il reste pudique, avec son quant-à-soi peut-être, perdu dans son monde sans doute. Peut-être que son neurone unidirectionnel le cantonne à ne faire qu’une chose à la fois. Les hommes, dans cette histoire, comptent pour du beurre.
D’un regard circulaire, elles espèrent retrouver l’idée en déroute. Où est elle ? Comment s’est-elle effilochée, évaporée dans le temps ? A-t-elle été captée par une entité maléfique? Est-ce parce qu’elle est devenue adepte d’un gourou tel celui du PQ qui sans foi ni loi fait faire de faux bonds à la dame de trèfle… qui n’a pas de chance.
Toujours est-il que l’intention de départ a disparu, sans laisser d’adresse.
Ces femmes, en colère contre elles-mêmes, doivent-elles revenir à la case départ pour savoir ce qui les a motivées à se « taper » une fois de plus les escaliers du grenier, de la cave, et puis le couloir, les placards, le palier ?
De trois choses l’une :
Soit elles refont le parcours inverse. Elles remontent les escaliers, prennent le couloir, ouvrent les placards …jusqu’au point de départ de leur idée. Et là Euréka ! L’objet tant chéri se profile à l’horizon ! Elles repartent tambour battant avec l’idée en poche !
Soit elles refont le parcours inverse. Mais cette fois, elles voyagent dans leur tête et les souvenirs reviennent jusqu’à l’arrêt sur image et l’objet leur tend les bras !
Soit elles retournent à d’autres occupations jusqu’à que l’objet du déplacement, en plein virage, leur revienne en pleine face.

Ce phénomène est-il l’apanage de l’âge qui se prend dans les mailles du filet des jours qui passent ? l’attribut des courts circuits dans les neurones ? des paresses organiques ? des mites dans le système ? Est-il le privilège des bios et oligos déficients bien à la mode ? des ondes sonores ou magnétiques ? des éparpillements dans de ce monde de miettes, où l’on est sollicité de toutes parts ?

A moins que esprit, et mental, se soient passés le mot et comme une cocotte minute sous pression, ils lâchent du lest pour ne pas exploser.
Ils font alors revivre le corps dans les couloirs, escaliers et placards ! C’est déjà ça !

Si l’ici et maintenant s’envolent avec les idées : achetez un filet à papillon !


Sylvie Domenjoud- Le 22 juillet 2018

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