Les orties

Les orties
Il n’est pas banal de choisir pour thème cette mauvaise herbe. Quels enfants ne s’y sont pas piqué, alors qu’à l’époque dont je vous parle, ils n’étaient pas entourés : d’Attention Danger ! de mousse, de casque, de protège-tout et même de la vie ? Quel touriste ne s’y est pas frotté en se piquant de framboises sauvages ou de groseilles ? Ils ont survécu ! Ouf ! Envahissantes, elles piquent de leurs fines épées de silice les dilettantes qui ne savent pas qu’elles peuvent être si lisses quand on sait les prendre dans le sens du poil…C’est tout un art ! C’est ma Grand mère qui me l’a appris. Les orties et ma Grand mère sont indissociables !
Pour les béotiens, les gants peuvent être bienvenus surtout si il faut fourrager longtemps pour la fabrication de purin d’orties, de compost et autres friandises du jardin, ou même de fibres textiles. Et puis elles chassent les pucerons, engraissent les tomates, font sur les maux des merveilles… Mais ces végétaux font désordre. Chassées par la folie des gazons anglais, de la coupe au carré et du titre de mauvaises herbes, les orties ont pourtant échappé à l’éradication. Que vaut l’ordre sans se piquer de liberté ? On sait que les orties ont l’art de s’immiscer là où on ne les attend pas. Pleines de pep’s grâce à leurs vitamines, leur potassium, calcium, phosphore, elles carburent…elles ont réussi à garder pignon sur rue pour mettre un peu de piquant sur les étals des marchés et s’y vendre une petite fortune. Elles se sont glissées, clamant leurs vertus, dans des produits diététiques, écologiques, sympathiques, diurétiques, arthrosiques et autres maux pleins de hic… Si vous connaissiez tous leurs bienfaits, vous en seriez estomaqués.
Ma Grand mère, Mamie, reine de la soupe aux orties se retournerait dans sa tombe si elle les voyait en vente sur les marchés. Pourtant, elle pressentait leur élimination. Expropriée, elle avait dit en regardant tristement les bulldozers démolir sa maison et bétonner son jardin, le jardin de mon enfance : « -Les humains seront bien avancés lorsqu’ils devront se taper du béton pour leur seul déjeuner. Il faut espérer qu’ils trouveront encore de menues orties à tartiner sur leur tranche pour y ajouter quelques vertus salvatrices au goût d’herbe rare. »
D’un caractère bien trempé, Mamie était réaliste, ouverte, proche de la nature mais aussi très bonne cuisinière. En plus, elle avait de l’humour. Lorsque son fils, mon oncle, âgé de 6 ans, après la « leçon de choses » ayant pour thème les plantes : le blé, l’avoine et même les orties… avait été puni pour avoir répondu à la question de sa maîtresse « -Quelle est la plante la plus importante pour l’homme ? : - la plante des pieds ! ».
Ma Grand mère outrée, avait pris son fils par la main, traitant la maîtresse d’incapable ! Elle n’avait pas la langue dans sa poche ! A bonne école, et du haut de mes six ans, je lui avais dit que les poules mangeaient des orties hachées menues. C’était bon pour elles. Par contre les vaches les dédaignaient et j’ajoutais: « -Toi, Mamie, tu as juste un cou de vache mais tu aimes les orties ». Sourire aux lèvres, elle m’a entraînée aux orties, comme on va aux framboises… Munie de son chapeau, ressemblant à une boîte à camembert, lui avais-je dit, et trouvant que je n’avais pas tort, elle s’en servait pour y mettre des orties, ou parfois des pétales de roses qui sentaient si bon dans sa cuisine.
J’allais oublié l’essentiel : La soupe aux orties ! Quel régal. Souvenez-vous des recettes de Grand mères. Elles sont toujours bonnes. Celle de la mienne, forcément, était la meilleure. Pour les orties, elle ne prenait pas de gants, leur coupait la tête à hauteur des quatre feuilles tendres du haut. Plongées quelques minutes avec juste ce qu’il faut de pommes de terre précuites, bien assaisonnées, elle couronnait le tout, après mixage au moulin à légumes, d’une bonne cuillérée de crème fraîche !
Vive les pointes de mauvaises herbes !
Voilà comment de regrets on en fait de délicieux souvenirs et comment on fait vivre encore longtemps ceux que l’on chérit !

Bon appétit ! et place à la poésie !

La soupe aux orties
Régal des gourmands,
sans les gants
grand maman
du bout des doigts
amadoue les piquants.
Sans échafaud
tranche la tête
des orties.
Dorlotées
au cœur
des patates,
Pincée de sel
touche de crème,
poivrée d’amour
elles arrivent
des fossés
ou bordures de chemins
avec un goût de printemps.

Sylvie Domenjoud
Le 20/06/21





Fermer la fenetre